Le poète n’a rien écrit

 

Il s’est levé à cinq heures trente

Le corps endolori

A bu son café en tentant de se souvenir du parfum de la femme brune croisée la veille

Puis il a rincé sa tasse

S’est habillé

A jeté de l’eau sur son visage

Est sorti

A remonté la rue

 

Le poète n’a rien écrit

Patientant sur le quai

S’engouffrant dans un wagon

Contemplant l’éclairage

Mourant un peu plus le temps du trajet

Poussant la porte de l’entrepôt

Pointant

Avant de sauter dans un camion

 

Le poète n’a rien écrit

Il n’a pas ouvert la bouche pendant le trajet

Rêveries éteintes

Articulations rouillées

Tee-shirt imprimé aux armoiries de l’entreprise de déménagement

Puis vider et remplir

Soulever et poser

Escaliers innombrables

Vertèbres écrasées

Sueur brûlant l’œil

Cartonboismétal entaillant les mains

Aucune seconde pour penser

Rien que l’effort

Rien que la fatigue

Rien que la pesanteur

 

Le poète n’a rien écrit

Il a avalé un sandwich sur les coups de treize heures

Fromage et poivrons

A mordu dans un fruit mûr

S’est accordé une courte sieste

Puis s’est remis à vider et remplir

Sous le soleil obèse et brutal

Jusqu’à ce que soit accomplir le rite

 

Le poète n’a rien écrit

Retour au dépôt

Ranger le matériel

Passer un linge propre

Plonger dans la station de métro et faire semblant de ne pas remarquer les visages grimaçants

A peine discrètement

Car le poète pue

La sueur et l’effort

L’odeur âcre du travailleur

Perceptible et respecté par celui qui en a déjà été couvert

 

Le poète n’a rien écrit

Il est rentré chez lui

S’est lavé le corps

A dévoré son repas devant un film

A bu le vin réconfortant

Ecouté un peu de musique

Ou lu quelques pages d’un livre ouvert il y a plusieurs semaines

 

Le poète n’a rien écrit

Et sous ses draps il songe

A des voyages non voyagés

A des corps de femmes

A l’océan frais et scintillant

A des toiles de maitre

A sa tristesse et à sa joie

Au poème qu’il n’a pas écrit

A la solitude et à l’amour

 

Et à tout le reste qui n’a pas de mot

Ni de forme

 

A ce que la vie pourrait être

 

 

Et à ce qu’elle n’est pas

 

*

 

Sans inspiration

 

Sans inspiration

     Bar bruyant

Visages blêmes

Damnés tricotant leurs visions

     Néons jaunes

Musique baroque

 

Sans inspiration

Murs écaillés et humides

Songeant à Rome et à tes seins

     Malt prophétique

 

Zorgt hij voor aromas van zwarte peper

     Rozen & lavendel

 

 

Sans inspiration

 

 *

 

Circonvenus par la foule dense

Les prisonniers traversèrent la place

En se remémorant les jours verts

Les ventres de femme

Le vin chaleureux

Les pépiements des matins 

Le parfum de l’immortelle

Les jeux d’enfant

Les caresses de la mère

La musique de Brahms

Le vent dans les herbes

Le goût de la crème fouettée

 

Ainsi que les subtiles nuances chromatiques

 

Des crépuscules d’août

 

 

*

 

Recraché ce matin sur le goudron frais

L’insecte qui vivait dans un coin de moi

Et nourrissait ce sentiment de crainte

Qui depuis plusieurs mois m’empêchait

D’achever quelque mouvement vers

L’acte

 

Le petit corps grouillant et noir

Ne s’attarda pas et bondit avec adresse

Dans une anfractuosité du trottoir

Pour y disparaître sans même un regard,

 

Ce qui m’attrista profondément


 *

 

Ma mère couchée dans sa chambre d’hôpital,

Regardant une émission de variété à la télévision,

Un ciel plein de menace filtrant à travers les volets

Et le temps suspendu à un cathéter et une sonde

 

Nous avalons des marrons glacés et du café 

Tandis que dans le couloir une femme semble s’affoler

Et hurle qu’elle veut rentrer chez elle nom de Dieu

 

Mais si je suis certain d’une chose,

C’est que Dieu a bien mieux à faire

Que de traîner dans les corridors blancs

De ce dimanche de fin novembre,

 

Et que même si un hasard de fortune

L’attirait dans les parages,

Il y a fort à parier qu’il trouverait dans l’instant

 

 

L’arrêt de bus le plus proche   

 

*

 

Une béquille posée contre le guichet,

Le corps de la vieille pliée en deux,

Oreille tendue vers la petite ouverture

Découpée dans le rempart en plexiglas

 

On lui dit qu’il n’y aura pas de chèque

Ni aujourd’hui ni demain

Et qu’il faudra repasser lundi

Qu’on est vraiment désolé pour elle


 

 *

 

Je me fiche de la Grande Idée

Et recherche plutôt les visions

Dans des fragments oubliés sur le sol

 

Et si Walt Whitman croyait encore

À l’homme illimité,

 

Il faut désormais se rendre à l’évidence :

 

Les sorties de secours sont bondées. 

 

*

 

Crasse, urine et sperme

 

Le résultat de la loterie

      ne fit naitre aucun espoir

 

Et ce matin fut le même

     constant et blanc

 

     crasse, urine et sperme

     sur les barres métalliques  

     de chaque rame

 

     de métro

 

 *

 

Manifestement

 

J’aurais tout aussi bien pu battre la campagne

À dos d’âne en chantant mes propres Bucoliques

Mais je préfère au lyrisme le son de l’acier

Et l’odeur de la pluie sur le bitume chaud

 

Il faudrait pouvoir contempler du dedans les choses

Car c’est alors que les épaisseurs s’évanouissent

Et dévoilent le vrai visage du Fabriquant,

Qui manifestement n’a pas exécuté le geste

Au hasard


*

 

Encore sauvé

 

En buvant seul dans un coin de café

Je remue la mélasse des contingences

Et déniche dans le suc (coup de chance)

Quelques bonnes raisons de continuer

Parmi lesquelles une bouche rose,

Un chat ronronnant sur mes genoux,

Un livre à lire et un voyage à voyager,

Le mouvement d’une comète fraîchement

Débarquée de Kuiper,

Un reportage sur les limules et un autre

Concernant Ivan Illich,

Et puis le corps chaud de la femme,

Le jus sucré et puissant du fruit bleu,

La marche dans les bois silencieux,

Ou la partie de cartes avec l’enfant

Qui éclate d’un rire inépuisable


*

 

Myopie

 

Je n’ai jamais vu grand,

Je ne vois que par fragments,

Je ne vois qu’à quelques mètres

 

Et d’ailleurs j’arrive même à rater

Ce qui se trouve parfois sous mon nez

 

Néanmoins ce que je vois

Je le vois définitivement,

Je le vois dans sa petitesse,

Dans la splendeur de sa simplicité,

Et puis je l’incorpore au-dedans

Et tout prend alors forme

 

Chaque bribe devient engrenage

Chaque engrenage nourrit le dispositif

La chiquenaude se faisant détonateur,

 

La lumière pulsant son règne

Dans les ténèbres prépoétiques 

 

Des sales nuits 

 

*

 

Ô muses ! Ne mettez pas les pieds ici !

Vos chants et les miens ne sont pas nés

                               Pour s’accorder

 

Et d’ailleurs j’ai mieux à faire ce soir,

Comme remplir et vider ce gobelet

Et me tenir à bonne distance du lyrisme

            Et de la chaleur de vos sexes


 

 *

 

La lampe s’est éteinte et le ciel a suivi

L’enfant tousse dans la pièce voisine

Et le monde s’affale sur sa propre graisse

Mais il me faut continuer l’œuvre

Selon le rituel établi par moi-même

Sang pulsant dans le foyer intérieur

Nourrissant le feu noir du refus


 

 *

 

Le dos de mon père confirme

La grande illusion du progrès

Ainsi que tous les dos fracassés

De tous les pères jusqu’à Adam

Le temps pour penser a été dérobé

Et celui pour produire corrompu

Ne reste ainsi que les vertèbres écrasées

 

Et la violence infinie d’un froid constat

 

*

 

Je ne vous rembourserai pas

 

 

Les vieux jours glissent un œil lubrique sous les robes des lendemains.

 

 

Evidemment que le temps ricane… Regardez-nous !

 

 

Ne pas économiser ses munitions.

 

 

Le silence s’est fait dans la pièce.

La vie se retirant en toute discrétion.

 

 

L’immortalité est une extravagance de mortel.

 

 

Je préfère vous prévenir : je conserve mes meilleurs poèmes pour un livre que je vendrai plus cher !

 

 

Habiter là.

 

 

Plier l’orbe.

Conjuguer l’isthme.

Noyer la perspective.

Rie fuyard .

 

 

Et qui se soucie du sort du sort ?

 

 

Mon pas désobéit à mon ordre et contre toute attente s’émancipe.

 

 

Cataclysme fondateur de l’orgasme.

 

 

Mon fils dessine les maisons bien mieux que moi.

 

 

Pivoine de ta bouche entrouverte.

La lune éclaire la cour.

 

 

Ils m’observent et ricanent en buvant leurs cocktails. Il est vrai que les cadavres n’entendent rien à la création.

 

 

Dieu carillonnant un requiem d’accords enflammés…

 

 

Le cœur est un chasseur désarmé.

 

 

L’enfant remontant le toboggan à l’envers sous les yeux catastrophés des parents figés.

 

 

Il suffit que je m’installe à l’ombre pour que le soleil trouve un chemin jusqu’à mon œil…

 

 

Je me regroupons.

 

 

Mithridate se forçant chaque jour à regarder un moment la télévision afin de renforcer sa résistance à l’abjection. 

 

 

Erotisme de la démarche.

 

 

SOUPIR

Je ne sais être qu’assoiffé.

 

 

Le lecteur comprendra-t-il le poème tel que je l’ai écrit ?

 

 

Fuir le hiéroglyphe

Piéger le piège

Signer d’une croix

 

 

San Antonio se leva, remonta son col, offrit un étincelant sourire puis envoya son poing en plein dans la mâchoire de la littérature française.

 

 

Fausse monnaie du pouvoir.

 

 

Toute critique positive serait malvenue !

 

 

La légion d’honneur peut parfaitement caler le pied d’une table branlante.

 

 

Sans cela chers amis, je ne vois absolument pas pourquoi il en serait ainsi…

 

 

Lithographie.

Jet de pierre.

Artchaïsme.

 

 

Sempiternelle querelle des anciens et des modernes ne trouvant sa justification qu’hors du champ de l’art.

 

 

Le poète est aussi le poème qu’il n’a pas écrit.

 

 

Ne compte que la transmutation vitale de la recherche en connaissance.

 

 

Frank Zappa et Rabelais auraient signé l’album du siècle.

 

 

Avarice du poumon.

L’air est compté !

 

 

Galilée propulsant le Soleil d’une simple chiquenaude.

 

 

La découverte dans toutes choses : l’art, le sexe, l’ivresse, l’orage, la fleur, le travail, l’amour, l’échec (surtout l’échec), le déplacement d’un chat, le nerf comprimé dans votre jambe gauche, la mort, la paternité, le voyage, le silence, la bêtise, la nourriture, le chant de l’oiseau, l’orgue, la maladie, la terreur, la foule, le désespoir, le vent chaud balayant Rome, l’arbre dénudé, l’ennui, les fins de mois difficiles, les déplacements en avion, l’écriture, la poésie, encore l’ivresse, l’amitié, la haine, la contemplation, les rixes, la couleur changeante du ciel le soir, le rêve et puis tout le reste… TOUT LE RESTE. 

 

 

Ne vous formalisez pas.

Privilégiez les profondeurs.

 

 

Cette réception fut parfaite : un discours médiocre et d’excellents feuilletés au fromage.

 

 

La couronne sur la tête de Dieu, Dieu la jette au sol et la piétine.

 

 

Le génie : supercherie de marchands.

 

 

J’aimerais avoir le temps.

Peu importe à quoi.

 

 

La femme assise en face de moi ressemble à s’y méprendre à la femme assise en face de moi.

 

 

N’évente pas tes découvertes, ils en feraient des bombes.

 

 

Je travaille pour payer mon loyer, les factures et de la nourriture empoisonnée. Le reste me concerne.

 

 

Métier disparu : lanceur d’huile bouillante.

 

 

La nuit tombe

Et se brise les os

 

 

Je dois sans cesse explorer de nouvelles voix. Créer différemment quitte à me mettre moi-même à dos.

 

 

L’auteur que je suis maudit l’éditeur que je suis pour son refus d’une avance pourtant modeste.

 

 

Finalement c’est assez simple.

Attrapez un stylo et essayez.

 

 

Entendu hier : « Le pôle finance se réorganise dans le cadre de la dématérialisation comptable. »

Je vous laisse juge.

 

 

L’air frais du matin

Soleil sur le visage

Redevenir vie

 

 

Emissions de variété : holisme.

 

 

Instants d’émerveillement : contempler une toile, s’allonger sous un arbre, sentir le vent tiède, boire du vin, caresser tes cuisses, s’avouer vaincu, écrire ce poème, mordre dans des aubergines grillées, bavarder avec Dieu, prendre le train et plonger dans l’océan.

 

 

Connaitre le silence.

Le taire.

 

 

Microscopiques victoires de nos rires.

 

 

Files d’attente et inspiration créatrice : les meilleures idées me viennent alors, un paquet de rouleaux de papier toilette sous le bras.

 

 

S

T

A

L

A

C

T

I

T

E

 

 

Je préfère la poésie au cancer.

 

 

Le vieux jardin clôt

Au cœur d’un jardin plus vaste

Ce dieu en chacun

 

 

L’os dans le reliquaire est à la hauteur de nos attentes.

 

 

Regardez mieux bon sang !

Vous ratez tout !

 

 

Nous devenons autres durant ces instants associés.

 

 

Il ne s’agit pas de se mettre à la place du lecteur, du spectateur, mais de demeurer bien en face de lui.

 

 

Cette foule agglutinée autour de la fontaine de Trévise m’évoqua un samedi estival à la piscine municipale de mon quartier.

 

 

Intérieurement je m’égosille.

 

 

Dans ce reflet sombre

Je ne me reconnais pas

L’onde me déformant

 

 

L’utilisation du gérondif est pour moi capitale.

 

 

On lui demanda de venir avec sa propre craie.

Ardoise trop longue.

 

 

Oui tout va bien aujourd’hui…

 

 

Les critiques littéraires sont plus traitres que les questions à choix multiples.

 

 

Ce constat : mon fils de deux ans éclatant d’un beau rire sous un violent orage, dansant au milieu des passants paniqués qui prennent la fuite.

 

 

 Votre adage : _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _

 

 

Je demeure précaire pour ne pas éveiller les soupçons !

 

 

Navigation intérieure

Mer calme

 

 

 

J’ai perdu toute illusion à l’âge de sept ans, lorsque qu’à la télévision j’ai vu un reportage sur un milliardaire hongkongais qui s’était fait fabriquer des chiottes en or massif.

 

 

Je trouve de l’intérêt dans presque toute chose.

 

 

Ces instants dont on sait presque immédiatement qu’ils ne seront ni vécus de nouveau, ni traduisibles dans une quelconque forme poétique.

La beauté nous fuit.

 

 

Dieu frottant une céphéide sur sa semelle… allumant son cigare contre l’étoile brûlante.

 

 

 

Oui je sais… J’ai fait la même tête que vous.

 

 

Diabolo-jusquiame

  

 

Lorsque plus rien ne viendra…

 

 

GAGNANTS

PERDANTS

AUTRES

 

 

 

Vitrail de l’iris

Chaleur du sein

Morsure à l’épaule

Nef étroite

 

 

J’ai détruit plus de poèmes que je ne vous en laisserai jamais lire.

 

 

Apprendre à l’oreille à se méfier de l’œil.

 

 

Risq   u  

                    e

    

 

                        d  

                            e

 

 

                                 c

                                      h

                                     

                                       u

 

                                        tt

 

 

                                           e

 

 

 

La campagne vue depuis le train.

 

 

Il faut alimenter le foyer, le sang et notre songe commun.

 

 

L’offre et la demande : mamelles de louve.

 

 

Envoyez-moi vos dons !

 

 

Cette bouteille de Lacryma Christi.

Et puis ton corps nu.

 

 

 Me voici chers poètes ! Je viens prendre votre clientèle…

 

 

 

Candidature renvoyée suivie de ces quelques mots :

« L’Empyrée ne recrute pas ! »

 

 

 

Corolle ensanglantée

Fleur de deuil

 

 

Veillez à aimer.

 

 

ETERNELS MONTS.

 

 

Je me poussiérise !

 

 

 

Splendeurs intimes inaliénables.

 

 

Vous voyez ce type qui écrit au fond du bar ?

 

Et bien c’est toujours moi. 

 

*

 

D’ici la prochaine aube

 

Au-dedans du ventre et du monde englouti,

Conservant le souvenir de la cellule première

Et traversant au rouge en hurlant des poèmes

                    De Zbigniew Herbert,

 

Il me vient ce constat que les bars et les alcools

Demeurent à peu près les mêmes de Palerme à Tokyo,

L’ivresse différant selon que l’on fasse l’amour

Ou que l’on dégrise la joue collée à un siège de métro

                    De la Circle Line, Liverpool Street Station.

 

Parcourant en dos crawlé le smog électromagnétique,

Je distancie à contre-sens le jour pachydermique,

La nuit s’annonçant propice à bâcler quelques vers

                    Et à caresser des seins fermes,

 

Et l’infernal serpent du temps qui s’entortille dans la conscience

(sssssssssssssssssssssss…)

Ne peux plus rien avaler ni mordre de potable,

           Et je vide un verre nouveau dans une rue de Rome

 

           Et je ferai assurément l’amour d’ici la prochaine aube. 

 

 *

 

Quatrain

 

Entamant la lente sculpture du retour

Je me leste des souvenirs arrachés

Et ce qu’il reste de chair sur l’os

 

Nourrira le ver, empoisonnera le reste

 

 *

 

E… se déplaçant dans l’herbe

 

 

Le vent ébouriffant ses cheveux

Et les miens

 

Tout autour les montagnes sont immobiles

Elles ont vu les générations

                                    Se succéder

Sans que cela ne les trouble

 

E… se déplaçant dans l’herbe

 

Tandis qu’une nuée d’insectes

Me vole autour

Et lui vole autour

          Electrons bourdonnants

 

Je lève les yeux vers le versant

Où s’étalent d’infinies nuances de verts

 

Et la roche étincelle violemment

 

E… se déplaçant dans l’herbe

 

Moi le contemplant

Ebahi par l’offrande de cet instant

 

Les montagnes et le vent

Le village perché plus haut

 

Irrémédiablement

 

                           père

 

 

 *

 

Quatrain

 

Ce jour-là fut puis se tût

Qu’en reste-t-il de miracle ?

Le vent soulevant tes cheveux ?

 

Rien que le vent en vérité

 

*

 

De sel et de romarin

 

 

Quelle est donc cette frontière enjambée ?

Ce brusque flottement qui projette mon cœur contre le plafond ?

 

La branche en fleurs

Dehors

Porte le souvenir d’une jouissance

 

Voici la venimeuse vérité

 

Le talisman de sel et de romarin

Projette

Sa magie sur ma poitrine

 

Cependant qu’échoue

 

Une stratégie d’évitement

 

 *

 

Quatrain

 

Ce ciel corné à la page soixante-treize

Me révéla son secret inutile et encombrant

Je préférerai de loin observer en silence

 

L’inflorescence unique du palmier suicidaire

 

 

 *

 

Le Zambèze et le tigre

 

Que pourrais-je dire de plus qui ne soit déjà raconté

Dans la suite d’accords que la nonne éthiopienne

Tisse sur son piano solitaire

 

Que pourrais-je dire de plus qui ne soit déjà raconté

Dans le geste antique de l’enfant qui ramasse

Une feuille rouge tombée de l’arbre

 

Que pourrais-je dire de plus qui ne soit déjà raconté

Par les larmes de ces femmes lavant le corps

Du vieil homme mort durant la nuit

 

Que pourrais-je dire de plus qui ne soit déjà raconté

Par le corbeau et la tempête

Par le Zambèze et le tigre

Par la fleur et la bombe

 

 *

 

 Abîme


La flèche interrompt la danse
Parfait silence
C’est la magie sans trucage des vivants
Les portes pivotent sur leurs gonds
Prenant le demi-cercle pour un
                                  Cosmos

 

 *

 

Quatrain

 

Orphée tirant sur les cordes de sa lyre ébréchée

Profane le silence d’un blues chaotique

Le Grand Poème ayant rempli son estomac de vin

Se perdit en rentrant sous la lune amusée

 

 *

 

Ce qui nous conduit au large

 

L’instant est propice

Le pénétrer lentement

Car ce qui nous conduit au large

Est un chant inédit et brutal

 

Songeant que la vie s’amenuise

Songeant que presque tout s’amenuise

Je me réapproprie poids et mesures

Tandis que la femme sous les draps

                                             S’étire et gémit

 

L’instant est propice 

J’y exécute ma gestuelle

Parcellise l’air dans de petits bocaux

Que je revends sur des parvis d’étouffoirs

 

Songeant que les élans s’attiédissent

Songeant que presque tout s’attiédit

Je claironne mon 4’33

Tandis que l’enfant attentif et royal

 

                                            Entend l’arbre pousser

 

 *

 

Plutôt crever

 

Qu’abandonner l’œuvre en cours

Que brader son âme

Qu’accepter leur bruit

Que refuser le geste amoureux

Que soumettre mes brouillons

          A leurs contrats d’éditeurs

 

Plutôt crever

Que vivre en simulateur

Qu’espérer mal

Que boire maussade

Qu’écrire sans noblesse

Que ne pas embrasser tes seins

         A pleine bouche

 

Ah ça non !

 

Plutôt crever

 

*

 

10 haïkaï

 

 

La lutte essoufflée
Accroupie sur le trottoir
Vomit un mantra

 


Ce constat pénible
Le sonnet cosmique nous nie
Que suis-je pour l’étoile ?

 


Satie dans le bloc
L’anesthésiant m’engourdit
Un néon clignote

 

 

Le monstre en chacun
Affronte le dieu en chacun
En résulte l’âme

 


Torche éteinte du songe
Un peu de cendre sur la langue
Comment dire le beau ?

 


Jeune fille aux arums
Asséchés par l’absence d’eau
Amour sans racines

 

 

Les cinquante yeux d’Argos
Eveillés ignorent le rêve
Des cinquante qui dorment

 


La vision glissant
Comme un nuage se construit
Le vent joue son rôle

 


Méditant hier
Qu’apportent les échecs ?
Du bon vin j’espère

 

 

De mon songe fiévreux
L’ange sortit en titubant
Flacon sous la veste


 *

 

Quelle est donc cette frontière enjambée ?

 

Un brusque flottement

Projette mon cœur contre le plafond

Cependant qu’échoue

Une stratégie d’évitement

 

Le talisman de sel et de romarin

Rayonne sa magie sur ma poitrine

Et le temps baisse la tête

Observant ses pieds ensanglantés

 

Et puisque l’insecte

Porte le souvenir d’un hiver

Je l’emprisonne au fond de ma poche

 

Où règne un insecte plus vieux

 

 *

 

Anomalies poétiques

 

Les projections écarlates d’une défenestration

La tempête détruisant un village

La peinture de Gorky

Une étoile s’affalant sur elle-même

La cicatrice sur un visage gracieux

Un chant funèbre

Le feu dévorant une forêt

L’océan submergeant un navire

Dieu éclatant de rire dans un asile de nuit

 

Le résistant leur crachant à la gueule

Un jet chaud et épais du sang qui lui remplit la bouche

 

 *

 

Quatrain

 

L’amertume du café me fit grimacer

Dehors la foule a cessé la lutte à 7h30

Petite annonce lue dans le journal du jour :

« Loyer impayé recherche mécène. »

 

 *

 

Ivre dans les champs d’Ialou


Plaisantant et buvant du vin avec Thot
Au milieu des champs de roseaux
Osiris agence son alphabet
Du bout de son calame
Ivre dans les champs d’Ialou,
Je vomis mon coeur dans la balance
Qui s’équilibre aussitôt
Mon coeur et la plume de Maât
Et la stupeur de l’assemblée
Prise au dépourvu
Derrière le grillage de l’arrière-cour
Ammut écume en grognant
Ne songeant plus qu’à dévorer l’organe
palpitant

 

 *

 

Beuverie


L’ennemi a rempli les verres et nous
avons bu
Riant
Nous tapant dans le dos
La pluie perlait sur la vitre en cette
soirée assassine
Un instrumentiste exsangue
Au fond de la pièce jouait Scriabine
Et quand tous se sont tus
Quand les paupières se sont rouvertes
Alors l’émerveillement s’est glissé sous
                                                     la porte
Et a fui
Vulgaire rat pris de panique

 

 *

 

Algèbre blanc et secret


Le soleil fit glisser l’ombre d’un
Arbre
Le long du trottoir
Horloge ancienne au mécanisme
Astral
Algèbre blanc et
Secret
Libéré de son frein premier
Constance et humilité
La raison, qu’a-t-elle à voir
Là-dedans ?

 

 *

 

Quatrain

 

 Les singes de Borel ont abandonné
leurs sièges
Ils savent que le poème est dehors
Et que Villon méprisait les sciences
statistiques
Préférant l’ivresse, les rixes et la dague

 

 *

 

L5 S1


Rage collective
Bombardements et deltas
Vestiges de palais disparus sous l’arrière-boutique
D’un vendeur de téléphones
Un chat observe la scène en se léchant
                                               l’anus
Coraux de la fumée s’élevant au-dessus
Des toits et des crânes
Byssus irrémédiablement décollés de
l’originelle roche


L’os-nacre est la coquetterie des morts
L’ultime affèterie des prophètes
Un orgue martèle implacablement
Un requiem de comédie musicale

 

L’humaine hernie plie Dieu en deux
Et la radio ne joue plus
Palestrina.

 

 *

 

Quatrain

 

Le supplicié contempla son bras détaché

Posé sur une table voisine tel un pain encore tiède

Des hommes autour riaient et chantaient

Parlaient femmes, jeux, eau-de-vie et salut